Partie 4 : Le "sens" de l'évolution

Selon la Théorie de l’évolution, l’évolution n’a pas de direction, pas de sens; elle est indépendante de la notion de progrès (il n’y a pas d’êtres vivants «primitifs», ni d’êtres vivants plus «évolués»): elle se fait, strictement, au hasard, un hasard que certains auteurs qualifient d'absolu. Ainsi, l’Univers serait apparu par hasard; la vie serait apparue par hasard; l’Être humain serait apparu par hasard; notre présence sur Terre ne serait donc, finalement, due qu’au hasard. Toute l'évolution ne serait due qu'à une suite d'événements contingents, un «hasard absolu» qu'aucune loi mathématique ne saurait décrire. Toute l'histoire de la vie ne serait, dans ce cadre, qu'une suite d'innombrables coïncidences. Dans son célèbre livre, «Le hasard et la nécessité», Jaques Monod va même jusqu’à affirmer que la structure des protéines est aléatoire, ce qui, au vu des résultats accumulés par la Biologie moléculaire et la Génétique depuis plusieurs décennies, ne peut être considéré que comme complètement faux… De la même façon, un Arbre ne serait pas plus évolué qu’une Algue microscopique, ni un Vertébré plus évolué qu’une Bactérie…

Comment expliquer cet étonnant périple qui a mené des toutes premières protocellules aux formes de vie actuelles?

«Pourquoi l’Univers est-il si bien réglé?»

«A priori, ni la Terre ni l’homme ne sont au centre de l’immense Univers. Et pourtant: tout semble "ajusté" comme si le cosmos entier, de l’atome à l’étoile, avait exactement les propriétés requises pour que l’homme puisse y faire son apparition.» **

«Si, une seconde après le Big Bang, le taux d’expansion de l’Univers avait été plus lent ne serait-ce que de 1 sur un milliard, le cosmos naissant se serait effondré sur lui-même bien avant d’avoir atteint sa taille actuelle. À l’inverse, un Big Bang un tant soit peu plus "rapide" et les étoiles n’auraient jamais vu le jour.» **

«Des atomes jusqu’aux étoiles, l’Univers semble fantastiquement structuré, hiérarchisé, ordonné (…). Or, cet "ordre" mystérieux qui fait que les choses sont ce qu’elles sont, repose sur un petit nombre de ces mystérieuses constantes physiques (…): la vitesse de la lumière, la constante de gravitation (…), la masse de l’électron, etc. Il s’agit de grandeurs arithmétiques – des nombres – dont les valeurs sont fixes et d’une précision extrême. D’où viennent-elles? Ce qu’on sait, c’est que ces nombres existent "depuis toujours", c’est-à-dire depuis les tout premiers instants du Big Bang. Et qu’ils n’ont pas varié depuis l’aube des temps. Mais par quel miracle ont-ils tout juste la valeur qu’il faut pour que "tout marche" dans l’Univers? Par quoi – par qui – ont-ils été calculés?» **

«En assignant des valeurs légèrement différentes à ces constantes et en calculant, grâce à de puissants ordinateurs, ce qui se serait alors produit à l’échelle du cosmos, on découvre que dans la totalité des cas possibles, les univers qui en auraient résulté seraient soit stériles, soit chaotiques, soit encore inorganisés et informes.»
Igor & Grichka Bogdanov, Le visage de Dieu.

La «flèche» du temps

Dans son très beau livre «Une brève Histoire du Temps», Stephen Hawking s’intéresse à la notion de temps, et, en particulier, au fait, qui nous paraît aller de soi, que le temps se déroule selon une direction bien particulière, indiquée par une «flèche thermodynamique»: on ne peut remonter le temps pour un certain nombre de raisons physiques (le désordre de l’Univers ne peut aller qu’en augmentant; c’est pourquoi quelques secondes suffisent pour défaire un puzzle, alors que des heures de patience et de persévérance auront été nécessaires pour trouver la place de chaque petite pièce…).

À la lumière de cette observation, l’évolution, tout comme l’Histoire, a donc un «premier» sens: celui du temps qui passe; c’est ce qui nous pousse à établir la chronologie des événements de l’histoire de la Terre, ainsi que l’ordonnancement des espèces vivantes au fil des étapes de cette histoire…

Le «sens» en marche, ou de la musique avant toute chose…

Revenons à Hubert Reeves et à «Patience dans l’Azur». M. Reeves fait une observation apparemment anodine, mais qui me semble d’une importance considérable: l’évolution se fait, globalement, de structures simples vers des structures complexes: des particules aux atomes, des atomes aux petites molécules, des petites molécules aux grosses molécules, des grosses molécules aux cellules, des êtres vivants unicellulaires aux êtres vivants pluricellulaires… Évidence: l’évolution grimpe les marches de la complexité, elle a une direction, un sens; il aura fallu dix milliards d’années d’évolution nucléaire puis chimique pour commencer l’évolution biologique, car les êtres vivants sont les structures les plus complexes qui existent dans l’Univers: même la plus simple des cellules est infiniment plus complexe que la plus grosse des molécules comme, par exemple, l’ADN…

M. Reeves pose alors une autre question, sous une forme délicieusement poétique: «Pourquoi y a-t-il de la musique plutôt que du bruit? » Par musique, M. Reeves entend «ordre», «harmonie»: les sciences biologiques révèlent l'époustouflant degré d'agencement et d'organisation matérielle, la quantité fantastique de réactions biochimiques parfaitement synchronisées qui se cachent derrière les événements simples de la vie courante. Quels sont les «sons» de cette musique? Ce qui ressort clairement, c'est la hiérarchie des agencements. Pourquoi? La question se pose à chaque niveau: les particules auraient pu ne pas s'agencer en atomes, les atomes ne pas s'agencer en molécules… Bref, on peut simplement dire qu’il y a de la musique, mais on ne sait pas pourquoi… J’ajouterai qu’il me semble qu’une nature entièrement gérée par le hasard ne pourrait qu’être désordonnée, chaotique et totalement stérile, ce qui n’est bien évidemment pas le cas…

Ces réflexions n'empêchent pas de nombreux auteurs de réfuter l'idée que l'évolution se fasse par complexité croissante...

L’affranchissement du milieu aquatique

Pendant plus de trois milliards d’années, toutes les formes de vie se sont cantonnées au milieu aquatique: océans et mers, fleuves et rivières, lacs, étangs et mares. Cette localisation est naturelle, pour plusieurs raisons:

  • La vie est apparue dans l’eau;
  • Les conditions sont relativement stables dans un environnement aquatique;
  • Le milieu aquatique est porteur (il équilibre la pesanteur grâce à une importante poussée d’Archimède);
  • Dans l’eau, les échanges respiratoires et nutritionnels ont lieu sous forme dissoute et peuvent se faire sur toute la surface;
  • En conséquence, il n'y a pas de contraintes majeures de soutien, de transport ou d'absorption dans le milieu aquatique.

En revanche, en milieu aérien, les contraintes sont beaucoup plus fortes:

  • Les conditions atmosphériques sont instables (importantes variations de température et d’humidité) et peuvent engendrer un dessèchement rapide;
  • Le milieu est peu porteur, donc les êtres vivants doivent surmonter la pesanteur.

Afin de sortir de l’eau, Animaux comme Végétaux vont donc devoir évoluer de façon extrêmement significative: «inventions» du poumon, du membre chiridien et de l’œuf amniotique chez les Animaux; de la tige, du tronc et de la graine chez les végétaux (et la liste n’est pas exhaustive!...). Autant de nouveautés qui, elles aussi, donnent un sens à l'évolution...

La notion de «saut évolutif»

Une autre observation, c’est que l’évolution ne se fait pas de façon linéaire, mais de façon discontinue, par «à-coups», par «sauts», entre des périodes de changements plus lents: on parle alors de «sauts évolutifs». De tels sauts se sont de toute évidence manifestés lors de l’apparition de la vie, tout comme lors de la divergence de la lignée humaine ou lors du grossissement du cerveau chez nos récents ancêtres préhistoriques… De tels sauts donnent, une fois encore, du «sens» à l’évolution, lui conférant un certain nombre de «points de non-retour»… ce qui n’empêche pas l’évolution de sembler parfois faire machine arrière!

Plus évolué ne signifie pas plus efficace ni mieux adapté…

Il importe ici de faire le point sur des termes très souvent utilisés lorsque l’on parle d’évolution: «primitif», «ancien», «évolué», «récent», «simple», «complexe», aucun de ces termes de porte de jugement de valeur (un être vivant plus ancien, plus simple, plus primitif, n’a pas moins de «valeur» qu’un être vivant plus récent et plus complexe: il s’agit simplement d’un constat, au mieux, d’une comparaison…). Ainsi, tout scientifique digne de ce nom devrait s’interdire de considérer qu’un arbre soit moins évolué ait moins de valeur, qu’un animal: ils sont simplement extrêmement différents car ils répondent à des contraintes évolutives extrêmement différentes (et, par bien des aspects, les Végétaux sont plus évolués que les Animaux…).

Article écrit par David EspessetChercheur indépendant en philosophie des sciences, épistémologie et évolution non darwinienne.